Marotea Vitrac : La canne Otahiti, une plante traditionnelle
Marotea Vitrac fait partie du programme ambassadeur depuis cinq ans. Ce « thésard » s’est rendu compte que la canne à sucre faisait partie des plantes traditionnelles polynésiennes et il compte bien le faire savoir. Président du syndicat de défense de l’indication géographique rhum agricole polynésien, il défend désormais l’idée d’une « indication géographique protégée » qui pourrait servir à cette filière en développement. Rencontre avec cet ingénieur talentueux, multiple champion de Tahiti de karting et passionné d’histoire.
Le programme ambassadeur de la compagnie Air Tahiti Nui accompagne des sportifs, des startuppers ou encore des « thésards » : Marotea Vitrac, connu dans le milieu sportif local pour être multiple champion de Tahiti de karting, fait partie de cette dernière catégorie. L’objet de ses recherches ? La canne à sucre Otahiti. Il a pu se rendre compte que la canne à sucre faisait partie plantes essentielles apportées par les anciens polynésiens pendant leurs migrations, elle était utilisée comme excipient dans la médecine traditionnelle.
Cette même canne à sucre a été ensuite exportée par Louis Antoine de Bougainville et a été la première à être cultivée sur grande échelle au 18ème siècle, avant d’être abandonnée au profit de variétés hybrides car trop fragile. Aujourd’hui, riche de cette histoire, elle sert à fabriquer un rhum d’exception qui fait la fierté du syndicat des producteurs de rhum agricole qui défendent une 'indication géographique protégée’. Une filière qui, selon son président Marotea Vitrac, a un potentiel de développement en Polynésie française. SB/ATN
Parole à Marotea Vitrac :
L’histoire entre la canne à sucre et toi ?
« Je suis le directeur de la distillerie Avatea depuis une quinzaine d’années. On s’était posés la question à un moment donné de faire du rhum à partir de la canne à sucre, un rhum agricole bio que l’on produit désormais depuis dix ans. On s’était intéressés à ce qui s’était fait ici - pas grand-chose - et on s’était aperçus que la canne à sucre était une plante qui avait accompagné les polynésiens d’île en île à travers leurs migrations. La canne à sucre fait partie des remèdes traditionnels, les « ra’au Tahiti » l’utilisent comme excipient, comme diluant pour donner un meilleur goût aux remèdes traditionnels. »
Vous avez donc continué vos investigations ?
« Oui, et il se trouve que la canne à sucre que l’on a découvert dans les jardins des Polynésiens est un des ancêtres des cannes modernes qui sont utilisées dans toutes les sucreries dans le monde ! Une vingtaine de cannes d’origine ont servi à la création de toutes les variétés modernes. Cette canne locale, c’est tout l’objet de la thèse de doctorat que j’ai entrepris il y a maintenant six ans, le but était de retrouver cette canne originelle qui était utilisée par les Polynésiens avec différents noms. Clairement, on l’a retrouvée, cela a été un des premiers résultats de la thèse. La deuxième question était de savoir si elle apportait une aromatique particulière dans le rhum. »
Vous avez créé un syndicat professionnel ?
« Oui, l’aspect de la thèse est intimement lié à l’aspect professionnel. On a été tellement loin dans la démarche aujourd’hui, que même avec des sociétés concurrentes de notre rhum Mana’o, comme le rhum Manutea, Rhum T de Taha’a ou encore Tamure Rhum, on s’est associés dans un syndicat que je préside et on défend l’idée d’une indication géographique protégée dont la pierre angulaire est la canne Otahiti. On a une démarche historique, culturelle, patrimoniale pour utiliser une plante qui est très difficile de culture. »
Pourquoi difficile de culture ?
« Elle ne résiste pas aux virus, elle pousse moins bien que les cannes modernes. Pour autant, il se trouve qu’il y a un véritable intérêt historique, patrimonial, culturel à l’utiliser ici à Tahiti parce qu’elle a rayonné à travers le monde quand Bougainville l’a trouvée ici en Polynésie, l’a exportée à l’île Bourbon - c’est pour cela qu’elle a été nommée d’abord canne Bourbon - puis dans le monde entier, notamment aux Antilles. La canne Otahiti, c’est la première canne cultivée au monde pour faire du sucre et ça, il n’y a pas beaucoup de gens qui le savent. »
C’est aussi une filière qui pourrait se développer ?
« C’est une filière agricole qui pourrait donner beaucoup d’emplois à l’avenir. C’est aussi une renommée pour la Polynésie, pour la France, c’est de l’emploi local et cela repose sur cette découverte. Ce projet de recherche est soutenu par l’Université du Pacifique et par le Cirad (ndlr centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), qui est un organisme de recherche français. On remet cette canne au goût du jour, on doit trouver de nouvelles techniques pour la cultiver pour que cela soit rentable, de nouveaux moyens de lutte et de protection parce qu’elle est fragile. »
Qu’as-tu pu faire comme déplacement intéressant ?
« Grâce au partenariat avec Air Tahiti Nui, j’ai pu faire des déplacements liés à l’aspect recherche en participant à des congrès pour présenter mes travaux et avancer dans le sujet de thèse qui touchera à sa fin l’année prochaine, j’ai aussi publié pas mal d’articles. Au-delà de ça, j’ai aussi la chance de pouvoir intervenir en école d’ingénieur chaque année sur le thème des bio-stratégies liées à la canne à sucre. J’essaye de montrer aux étudiants en quoi l’originalité peut découler d’un patrimoine végétal lié à un environnement, comme pour le vin par exemple. Je vais m’orienter vers des conférences liées à notre histoire pour expliquer qu’est-ce qui fait que nos produits sont différents, pour véhiculer cette image d’excellence, pour faire valoir ce patrimoine culturel et historique polynésien. »