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Mokarran Protection Society : protéger le Grand requin marteau, un symbole culturel vivant

Majestueux et sereins, les requins marteaux sillonnent les océans depuis 20 millions d’années. Pourtant, parmi eux, le grand requin marteau (Sphyrna mokarran) figure aujourd’hui parmi les espèces « en danger critique d’extinction ». Les Tuamotu de l’Ouest comptent parmi les rares endroits au monde où il est encore possible de l’observer dans son habitat naturel.

Ce n’est donc pas un hasard si c’est ici, à Rangiroa, qu’est née la Mokarran Protection Society. L’association œuvre pour la préservation du mokarran, tout en mettant en valeur sa symbolique traditionnelle dans la culture polynésienne à travers des projets culturels. Cette année, elle a fait sensation à l’UNOC (Conférence des Nations Unies sur l’Océan) de Nice, avec le Tāura Tamataroa, un totem réalisé par le sculpteur Moana Butscher, symbole fort de la connexion entre tradition, art et protection des océans.

 

Jean-Marie Jeandel, Fondateur et Président de l’association, revient sur la genèse de la Mokarran Protection Society :

équipe de la Mokarran Protection Society

Comment est née l’association ?

« La Mokarran Protection Society a vu le jour en 2019, mais l’idée, elle, a commencé à germer environ quatre ans plus tôt. Elle est née d’un mouvement baptisé Citoyens de la mer, un noyau dur de moniteurs de plongée installés à Rangiroa.

À l’époque, nous disposions de peu de connaissances scientifiques, mais nous étions sur le terrain, en pleine observation. Progressivement, en prenant des notes et en croisant nos données, nous avons compris qu’il se passait quelque chose d’exceptionnel ici : Rangiroa accueillait une population significative de grands requins marteaux, aussi bien des mâles que des femelles, un phénomène rare.

C’est autour de 2012 que tout a réellement commencé à prendre forme. Les bases de données scientifiques en ligne devenaient plus accessibles, et la démocratisation des caméras GoPro a permis à de nombreux plongeurs de capturer des images sous-marines de grande qualité. Petit à petit, ces vidéos sont devenues une véritable base d’archives.

Et puis, il y a eu une rencontre déterminante : Marc Hayek, Président de la marque Blancpain et membre de la direction générale du groupe Swatch. Très engagé dans la protection des océans, il est tombé amoureux de Rangiroa et du grand requin marteau. C’est lui qui nous a poussés à structurer notre démarche et à créer une organisation dédiée à cette espèce.

Nous avions donc les bonnes personnes, des images, un accès aux ressources scientifiques mondiales, et un soutien financier fort. Tous les éléments étaient réunis pour fonder la Mokarran Protection Society. »

 

Quelles sont les missions de la Mokarran Protection Society ?

 « L’association s’articule autour de trois piliers complémentaires :

  • Mokarran Science : dédié à la recherche scientifique
  • Mokarran Academy : axé sur la sensibilisation scolaire
  • Mokarran Fenua : centré sur le lien entre le requin et la culture polynésienne

Pendant les cinq premières années, près de 80 % de nos actions ont été orientées vers la science. Mais aujourd’hui, c’est le pilier culturel qui prend une importance majeure. Notre ambition est claire : rapprocher la population locale des missions de la Mokarran Protection Society, en replaçant cette espèce emblématique dans le cœur de la culture polynésienne.

Le totem de la Mokarran Protection Society immergé

Ce virage culturel s’est fait de façon très organique. Prenez notre totem, le Tāura : il est né d’une intuition, presque d’un souffle venu d’en haut, très loin d’un processus scientifique rigoureux. Et pourtant, ce geste artistique a rencontré une résonance profonde.

Il ne faut pas oublier que la science a d’abord été essentielle : elle nous a permis de démontrer que Rangiroa et les Tuamotu de l’Ouest constituent un écosystème unique au monde pour les Grands requins marteaux. Ce socle de connaissances solides nous permet aujourd’hui de déployer une action plus large, plus humaine, et ancrée dans le territoire. »

grand requin marteau à rangiroa

Qu’est-ce qui rend les Tuamotu si uniques pour les Grands requins marteaux ?

 « On sait aujourd’hui qu’il y a des requins marteaux au moins de Tikehau à Fakarava. Or, il n’existe aucun autre endroit au monde où l’on peut les observer aussi fréquemment de manière entièrement naturelle. C’est une opportunité unique que l’on ne retrouve qu’ici, dans les Tuamotu.

C’est ce qui fait de l’archipel une destination exceptionnelle pour découvrir les grands requins marteaux.

À titre de comparaison, dans des lieux comme les Bahamas, l’observation repose souvent sur le shark feeding, le nourrissage pour attirer les requins. Ce procédé va à l’encontre des valeurs culturelles polynésiennes, qui prônent le respect de la nature.

Ici, dans les Tuamotu, nous avons à cœur de préserver cet équilibre. Le totem Tāura incarne pleinement cette vision : il est un symbole, un garde-fou, qui nous rappelle l’importance d’agir toujours avec humilité et respect envers l’environnement. »

Mokarran Protection Society taura

Justement, parle-nous de ce Tāura qui a été présenté à l’UNOC de Nice

« Le mokarran, ou requin marteau, fait partie intégrante de la culture polynésienne. Il est l’un des animaux-totems traditionnels des familles, porteur d’une symbolique forte.

Le Tāura Tamataroa est né dans ce contexte : un totem représentant un requin marteau, sculpté par Moana Butscher, un artiste dont le prénom, Moana, signifie "océan" en tahitien.

Ce totem a une histoire singulière. Il a été immergé dans la passe de Tiputa, le territoire naturel du requin, afin de s’imprégner du mana du lieu, mais aussi de toutes les particules en suspension dans l’eau. Il porte aujourd’hui une véritable empreinte ADN environnementale, représentant l’ensemble des espèces de requins qui peuplent la passe.

Une fois sorti de l’eau, il a été restauré puis préparé pour ce qui allait devenir un voyage d’ambassadeur. D’abord transporté par bateau jusqu’à Tahiti, le Tāura a ensuite été sélectionné pour représenter la Polynésie à l’UNOC, la Conférence des Nations Unies sur l’Océan, à Nice.

Entre Tahiti et Paris, il a voyagé avec Air Tahiti Nui Cargo, dont l’équipe a fait preuve d’un profond respect et d’une grande délicatesse dans la prise en charge du totem. Après ce long périple et quelques péripéties, il est enfin arrivé à Nice, où il a été exposé en juin 2025 dans le cadre de l’UNOC.

Son voyage se poursuit aujourd’hui : le Tāura est actuellement exposé au Seaquarium du Grau-du-Roi. Il est placé sous la supervision d’Anne-Sophie Tredet, responsable de la communication de l’association, et sera valorisé en collaboration avec les étudiants polynésiens de Montpellier. Car le Tāura n’est jamais loin de son peuple.

Pour nous, c’est essentiel de porter ce message en métropole. Il ne s’agit pas seulement d’un totem, mais d’un symbole vivant de notre engagement pour la protection des requins. À l’heure où, en Europe et en France, la pêche aux ailerons existe encore, il est urgent de rappeler que le requin est un être sacré dans notre culture, et qu’il mérite d’être respecté et protégé. »

plongeur Mokarran Protection Society

À quoi ressemble le quotidien de l’association ?

« Les journées sont bien remplies, et cela, dans plusieurs coins du monde.

Aujourd’hui, par exemple, à Rangiroa, nous étions occupés à analyser les vidéos issues des caméras immergées dans le lagon. Ces enregistrements nous permettent d’identifier et quantifier les espèces présentes, mais surtout de repérer la présence du grand requin marteau dans cette étendue immense, longue de 80 kilomètres et large de 40.
Chaque ombre doit être examinée attentivement, chaque séquence d’image retravaillée pour confirmer une apparition. Ce travail est minutieux, chronophage, et nous le renouvelons toutes les trois semaines, en complément de nos plongées régulières dans les passes de Tiputa et Avatoru.

Pendant ce temps, en France et en Suisse, une autre partie de l’équipe s’active, loin des eaux cristallines du Pacifique. Là-bas, ce sont les montages vidéo, les actions de communication sur les réseaux sociaux, et la sensibilisation du public lors d’événements qui occupent les journées. C’est un véritable engagement de cœur de la part de nos bénévoles.

Même aux États-Unis, certains de nos membres œuvrent à distance, en télétravail, toujours connectés à notre cause malgré l’éloignement géographique.

En parallèle, nous anticipons nos prochaines actions : les Journées des Sciences, les Rallyes Requins dans les écoles, ou encore des événements liés à l’océan. Nous avons construit des partenariats solides avec plusieurs établissements scolaires, afin d’inscrire notre travail dans la durée. À Rangiroa, un enfant peut ainsi plonger dans l’univers des requins du CM1 jusqu’à la 3e.

Au quotidien, je tiens également à valoriser les savoirs locaux, et notamment la connaissance intime des requins qu’ont les habitants de Rangiroa. Depuis cette année, nos équipes chargées de la recherche sur les juvéniles sont exclusivement constituées de plongeurs, de pêcheurs et de résidents polynésiens. Je préfère faire appel à ces talents de proximité, plutôt que de faire venir des spécialistes de métropole, alors que nous avons ici des compétences formidables.

évenement mokarran protection society

Nous prévoyons également des actions à Tahiti. J’aimerais, par exemple, organiser une "Shark Week" : une semaine d’événements autour des requins, avec des expositions de photos et de peintures, des rencontres thématiques chaque soir sur différentes espèces, dans une ambiance conviviale et festive. L’objectif, c’est de rassembler les générations, dans un esprit de partage et de transmission.

Finalement, notre quotidien, c’est ça : chercher, innover, imaginer de nouvelles façons de sensibiliser, en mêlant la science, la culture, la fête et l’éducation. »

Grand requin marteau durant une plongée à Rangiroa

Quel est le message que tu voudrais faire passer au public aujourd’hui ?

« La première chose que je dirais aux touristes, c’est : venez découvrir la Polynésie française !

En venant ici, vous pouvez devenir vous-mêmes des ambassadeurs, des totems vivants qui portent la voix des requins.

Un visiteur qui aperçoit un requin marteau dans les Tuamotu en garde une impression inoubliable. Le mokarran est un symbole puissant : il incarne à la fois la force et la sérénité. Ce requin, qui pourrait impressionner, est en réalité d’une douceur étonnante. Avec sa tête si particulière, il semble nous regarder avec bienveillance… C’est une expérience hors du temps, qui rappelle à chacun ce que nous devons à la nature. Un véritable appel au respect.

C’est pourquoi j’invite tout le monde à devenir des citoyens des océans, à respecter les requins et leur habitat.

La Polynésie est un véritable sanctuaire pour les requins, le plus grand au monde. Ici, tout est fait pour protéger cette richesse : une réglementation stricte, des moniteurs de plongée expérimentés, des infrastructures d’hébergement et de transport adaptées, et surtout une joie de vivre unique. Il n’y a pas d’autre lieu comparable sur la planète. »

 

Un dernier mot ?

« Nous sommes très fiers d’être soutenus par Air Tahiti Nui, une compagnie polynésienne qui comprend et partage notre engagement.

Elle nous aide concrètement, en facilitant la venue de spécialistes sur place et en transportant notre totem jusqu’en France. Ce soutien crée un lien fort avec la Mokarran Protection Society.

Air Tahiti Nui et le Grand requin marteau partagent une même âme migratrice : comme ce requin qui fend les eaux du Pacifique, la compagnie survole l’océan pour relier la Polynésie au reste du monde. Chacun, à sa manière, porte haut l’esprit et la force migratrice de notre belle Polynésie. »

sortie bateau Mokarran Protection Society

Suivre la Mokarran Protection Society

Retrouvez plus d’informations sur les projets de la Mokarran Protection Society sur le site de l’association.

Et pour découvrir le Tāura Tamataroa, rendez-vous cet été au Seaquarium au Grau-du-Roi.

 

© Photo Tāura immergé : Bernard Beaussier

© Photos équipe & stand d'information : Mokarran Protection Society

© Autres photos : Etienne Menager